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- "SAINT-JUST ET LA FORCE DES CHOSES" - LE FILM

- CRITIQUE DE PRESSE -

Cette collection des coupures de presse des années 1970 saluant la diffusion du film, n'est certes pas exsaustive, mais elle renvoie avec justesse l'image des humeurs que le film a provoquées chez les critiques, de droite comme de gauche. L'Humanité s'attaque au contenu du film le qualifiant d'imagerie dénaturée, Le Figaro se plaît à critiquer les menus détails, La Libération n'en dit pas mot comme elle n'en a pas dit un 10 ans auparavant sur le décès d'Albert Ollivier, ce qui est déjà une position en soi. N'ayant pas trouvé dans le film ce qu'ils voulaient y voir - une sorte de deuxième «Caméra explore le temps» et une image de «Saint-Just-Brutus» qu'ils se sont depuis longtemps forgées, les critiques n'ont su presque rien y voir d'autre.

"Saint-Just et la Force des choses", par J. Bertrand, Télérama du 27.09.1975

"Saint-Just ou la Force des images" par M. Even, Le Monde, le 28-29.09.1975

"Un Saint-Just introuvable" par M.Danzas, France-Soir, le 30.09.1975

"Saint-Just" par J. Beaulieu, L'Humanité Dimanche, le 28.09.1975

"Saint-Just... Une nouvelle exécution" par J.-P. Tison, le Figaro, le 4.10.1975

"La brioche et le pain noir" par C. Sarraute, Le Monde, le 7.10.1975

"Un archange aux yeux d'halluciné" par C. Manceron, Télérama, du 11.10.1975

Télérama, du 27 septembre au 3 octobre 1975
Samedi 27 septembre, A 2

SAINT-JUST ET LA FORCE DES CHOSES

Un aristocrate poudré est arraché à ses rosiers par une ambassade de paysans conduite par un jeune et brillant patriote. Ce jeune homme au regard ardent et au teint de jeune fille ce nomme Louis de Saint-Just. Ainsi commence «Saint-Just ou la force des choses» que Pierre Cardinal et Jean-François Rolland ont tiré du livre d’Albert Ollivier, ancien directeur de la télévision, aujourd’hui décédé.

A l’étroit dans sa province de l’Aisne, Saint-Just, trop jeune pour être député, fait partie de la garde nationale. Il se jette avec passion sur toutes les nouvelles de Paris. La rélation des discours de Maximilien Robespierre, surtout, l’enflamme. Pénétré de «L’esprit des lois», il se jette dans l’étude et, la tête pleine de projets, écrit au maître Robespierre: «Quand un peuple devenu libre établit ses propres lois, alors sa révolution est faite».

Le 10 août 1792, la nouvelle de l'insurrection de Paris au retour du roi le jette dans l’aventure. Élu député‚ inscrit au club des Jacobins, Saint-Just sera vite considéré comme le «porte-parole» de Robespierre à la tribune de la Convention. Le roi est bientôt guillotiné et la Révolution est menacée de toutes parts. Les nobles émigrés, alliés aux rois et aux princes de l’Europe qui redoutent l’exemple français, sont aux frontières. A l’intérieur, les factions («Gironde» et «Montagne») s’opposent. La Patrie est en danger...

Impossible, vraiment, de ne pas se passionner pour l’histoire de la Révolution française. C'est l'un de ces moments infiniment rares (La Résistance en est un autre) où les hommes sont forcés de se révéler. C’est aussi une époque fiévreuse et trouble, où la violence et la bassesse voisinent avec les «vertus» les plus hautes. C’est, en fin de compte, une sorte de résumé de l’histoire de l’humanité, un portrait flash du genre humain.

Pour ma part, je n’ai pas aimé ce que nous en rapporte Pierre Cardinal. Son style m’a paru trop emphatique (celui de la Convention devait l'être aussi, sans doute: circonstance atténuante) et ses portraits, trop ambigus dans certains cas, ne le sont pas suffisamment dans d’autres. Robespierre est un peu caricaturé sur la fin. Danton n’était sans doute pas un personnage aussi limpide. Couthon, dont on ne nous montre guère que le fauteuil roulant, avait la stature d’un grand homme politique. Saint-Just, enfin, sur lequel nous aurions aimé apprendre davantage, demeure le mystérieux «archange de la mort».

On a sacrifié au mythe. Saint-Just se promène sur les champs de bataille comme le «Napoléon» d’Abel Gance. Tandis que la section hébertiste des Cordeliers semble sortir de «Fellini-Satyricon».

Jacques BERTRAND

Le Monde, 28-29 septembre 1975
RADIO- TÉLÉVISION

A propos d’une ressemblance

SAINT-JUST OU LA FORCE DES IMAGES

Le Saint-Just que nous offre la télévision a le visage d'un jeune comédien peu connu: Patrice Alexsandre. Pierre Cardinal 1'a choisi pour incarner le personnage de celui qui fut le benjamin du Comité de salut public, en raison de sa ressemblance avec le portrait qu'en a laissé Louis David. Et tout autour de lui Robespierre, Danton, Vergniaud, Collot d'Herbois, Hébert, Fouché, Barère, Carnot, Couthon, peuple de Paris et peuple de Strasbourg figuraient sous les traits des Enragés (et d'eux seuls), soldats de l'an II, conventionnels ou gardes nationaux donnant de la Révolution un spectacle dont il est permis de croire qu'il est, lui aussi, «ressemblant».

Pour cette œuvre ambitieuse que certains responsables de l'ex-O.R.T.F. ont voulue à la fois comme un hommage, dix ans après sa mort, à Albert Ollivier, ancien directeur des programmes de la R.T.F., auteur d'un «Saint-Just ou la force des choses», et comme une réponse au succès du portrait-réhabilitation de Robespierre par Stellio Lorenzi dans «la Caméra explore le temps», pour cette œuvre doublement ambitieuse donc, Pierre Cardinal semble avoir disposé de tous les moyens nécessaires à une mise en œuvre somptueuse de sa vision de l'histoire.

Partant de l'ouvrage d'Albert Ollivier, historien gaulliste séduit par les destins hors série (Saint-Just comme Bonaparte, le communard Rossel ou l'homme du 18 juin), Pierre Cardinal et son adaptateur-dialoguiste Jacques-Francis Rolland ont entrepris, selon leurs propres termes, de «recréer» la Révolution française, de «donner une vision de la Révolution par l'intérieur», de «faire revivre les hommes qui l'ont servie et surtout Robespierre».

Cette montée vers la Terreur sous le regard de Saint-Just nous conduit de Blérancourt à Paris où, élu de la Convention, il devient le protégé puis le porte-parole de Robespierre avant de mourir à son tour sur l'échafaud de Thermidor à l’âge de vingt-sept ans, victime de la conspiration de Barras et de Fouché, appuyés sur les indécis de la Convention.

Pour constituer l'époque, pour décrire les personnages, Pierre Cordinal s'est attaché à définir leur comportement, à brosser d'un trait précis des tableaux, des situations - avec parfois des échappées baroques comme la scène du culte de la Raison à Strasbourg – tout en limitant, dans la mesure du possible, les dialogues aux textes historiques connus. Ainsi la psychologie des personnages se situe dans leurs traits de physionomie: Saint-Just devient un pré-romantique et Robespierre, un caractère à la fois tacticien et dogmatique, un peu velléitaire par moments.

Mais le plus curieux, le plus intéressant d'une certaine manière, réside dans les «creux» de cette reconstitution: l'absence par exempte des «menaces» seulement indiquées en paroles (la coalition de Brunswick, le clergé réfractaire, les aristocrates, etc.), l'absence aussi des groupes sociaux sur lesquels s'appuient les différentes tendances de la Convention; on voit les Enragés, on voit le Père Duchesne, mais pas le peuple de Paris; mais pas le Club des Jacobins; mais pas les acteurs positifs du grand changement.

On notera aussi le refus de prendre parti sur les idées: la caméra suit des individus, tantôt l'un, tantôt l'autre, qui s'affrontent, qui parlent de la liberté, de l'égalité, niais pourraient aussi bien se disputer un héritage, un mur mitoyen, une colonie, mus par les seuls mécanismes de leur destin personnel, avec le «beau rôle» chaque fois pour celui qui tient le discours opportuniste, le discours que l'histoire officielle retiendra, car il est la description anticipée de l'événement.

En ce sens, le film de Pierre Cardinal est une «Caméra explore le temps» au sens littéral du titre: il raconte la Révolution française de la même manière qu'on nous relate depuis six mois – depuis que les enjeux deviennent plus clairs – les péripéties de la révolution portugaise.

MARTIN EVEN

France-Soir, le 30 septembre 1975
France-Soir Juge

UN SAINT-JUST INTROUVABLE

[…]

Les cœurs, samedi, pouvaient balancer entre Sacha Distel NUMÉRO 1 et SAINT-JUST. C’est Saint-Just qui a eu ma préférence. Saint-Just présenté par des parrains prestigieux, Albert Ollivier, auteur, J.-F. Rolland, adaptateur, Pierre Cardinal, réalisateur, et Saint-Just, personnage historique, l’archange de la Révolution française qui dans le tumulte de la Terreur, avait su garder la force d’âme et la raison des Romains exemplaires.

C’est cet homme, à tout le moins que l’on pensait rencontrer sur l’A 2… Hélas: ce n’est pas un Brutus qui nous attendait dans l’émission, mais un joli berger de Greuze. Sa façon inénarrable d’ouvrir les bras en susurrant: «Je me consume de rage!» nous a fait comprendre que le rendez-vous avec l’histoire était manqué.

Un bond sur T.F.1… «Mon âme s’enflamme» y chantaig Ringo d’un ton aussi peu convaincant que Patrice Alexsandre mais d’une voix un tantinet moins suave.

Retour sur l’A 2 pour y retrouver notre Greuze en redingote poudrée et en tricorne de garde national, puis en redingote gris tendre, se rendant à Paris auprès de Robespierre. Robespierre – Pierre Vaneck – avait quant à lui la voix et le physique minerai de l’empire. La houle des réunions était, en outre, bien rendue, on reconnaissait dans la foule Marat et Barère et on assistait, sous les voûtes de la cathédrale, à une Carmagnole bien réglée bien qu’un peu hippy. Mais jusqu’au terme de l’émission, Saint-Just, le vrai, est resté introuvable.

[…]

Minnie DANZAS

L’Humanité Dimanche, 28 septembre 1975

SAINT-JUST

Vous aurez le droit de vous demander, après avoir regardé la «dramatique» de Pierre Cardinal, «Saint-Just», qui était au juste ce jeune homme. Car le personnage qui supporte deux émissions d’une heure trente a seulement pour lui une certaine ressemblance physique avec le révolutionnaire. Joli garçon mais sans aucune flamme intérieure, il semble ici un petit ambitieux qui attend son heure. Un charmant garçon plus velléitaire que véritablement passionné. Même ses discours célèbres à la Convention sont prononcés sans souffle et tiennent davantage de la vitupération que de l’analyse intelligente qui était son fait.

D’ailleurs, l’ensemble de l'émission est plus que sujette à caution. Le peuple est non seulement grossier, vulgaire, mais absolument effrayant: une caricature qui se veut «fellinienne» et qui est simplement grossière. Danton, par contre, est un être pur dont seuls des ennemi, apparemment mal intentionnés dénoncent la complicité avec l'ennemi. Robespierre, lui - et surtout dans la seconde partie est un hystérique atteint de la folie de la persécution. Et on a l'impression que tout Paris est passé à la guillotine.

Loin d'une fresque exaltante, loin d'un hommage à ceux qui se sont battus pour la liberté, ce «Saint-Just» est une imagerie aussi conventionnelle que dénaturée. La facture esthétique du film est totalement plate, quand elle ne frise pas le ridicule, comme cet assassinat de Marat à la manière du musée Grévin ou cette fête sacrilège de la «raison». Quelques seins nus dans une église pour faire croire à une conception «moderne» ne font que prouver que l’on sacrifie sans grands risques au goût du jour.

Seules quelques images de la guerre aux armées du Rhin restituent une atmosphère plus crédible.

Si vous voulez vraiment en savoir davantage sur Saint-Just, vous trouverez dans le prochain numéro de «L’Humanité Dimanche» l'article de Roger Castellani.

Jacqueline BEAULIEU

Le Figaro, le 4 octobre 1975

SAINT-JUST… Une nouvelle exécution

On n’est pas prêt d’oublier Robespierre, grand méchant loup de la Révolution, déguisé en mère-grand (frileusement couché, lunettes au bout du nez) en attirant les petits militants rouges pour mieux les dévorer. Il sera difficile aussi d’effacer de nos mémoires le concours de grimaces auxquels se sont livrés ses adversaires. Pleurant comme des enfants, les victimes de la Terreur ne retrouvaient leurs forces que pour lancer en reniflant quelques mots historiques à la postérité.

Les comédiens ont eu la gentillesse de compenser par leurs cascades en toute genre la paresse des cadreurs. La caméra semblait paralysée par la peur. Elle restait bêtement figée au milieu d’un champ de bataille ou à la tribune de la convention, incapable de suivre le mouvement.

Si, dans leur rôle de pleurards, les acteurs ont fait preuve d’une haute conscience professionnelle, les accessoiristes ont plutôt bâclé le travail. La guillotine – montrée avec insistance et originalité à la fin de l’émission – ruisselait d’un liquide si rouge et si abondant qu’au lieu de l’horreur, elle suscitait le même grand rire que les trucages du défunt Grand Guignol. Si l’on s’arrête à tant de petits détails, c’est parce que l’ensemble manquait singulièrement de grandeur et d’aspiration. On avait peine à croire que ce « Saint-Just ou la Force des choses » était de réalisation récente.

Jean-Pierre TISON

Le Monde, le 7 octobre 1975
VU

LA BRIOCHE ET LE PAIN NOIR

Elle était belle, la Révolution française – on l'a vue samedi en couleurs sur- l'A 2 - une horreur, une vrai boucherie, le prélude à Dachau, un Goulag en réduction. Dire qu'on lui a sacrifié la monarchie! Et les révolutionnaires? Tous des dingues ou des pourris. Pierre Cardinal ne leur a pas fait de cadeau. Ils sont rarement gâtés, il faut bien le dire, à la télévision , où l’on nous invite à verser tous les six mois des larmes de sang sur le sort de Marie-Antoinette, pauvre petite biche aux abois (il y a trois semaines encore c'était Michèle Morgan), et de son brave homme de roi.

Oui, n'était la caméra à explorer le temps de Decaux et Lorenzi, on aurait une bien piètre idée des causes et des effets d'une explosion – venue d'Amérique, destinée à gagner de proche en proche l'Europe entière et à qui l'on croyait pourtant devoir la république. Je ne parle pas ici des dossiers, des débats contradictoires, des discussions académiques, mais des films, des dramatiques, de ce qui va droit au cœur, à l’imagination de ce qui frappe vraiment l'esprit de nos enfants. Tous ceux que leurs parents, croyant bien faire, auront autorisés à suivre la deuxième partie de ce Saint-Just de grand-guignol (Élisabeth Taylor jouant les Heurtebise en travesti), en garderont une vision de cauchemar. Sans aucun rapport d'ailleurs avec ce1le que l’on dispense dans les manuels et dans les écoles.

Non qu'il faille taire ou maquil1er à l'écran le courage des Chouans, les excès des sans-culottes, les conséquences économiques du « maximum » sur les prix et les salaires, 1’iniquité de la loi de prairial, la dynamique de la terreur et les dix-sept mille têtes qui ont basculé dans le panier de la guillotine. Simplement, on pourrait ne pas éternellement arracher au calendrier, cocher et encadrer, les pages de janvier 93 (exit Louis XVI) et de mars-avril 94 - à la trappe les Enragés, et puis les Indulgents et puis les Montagnards. On pourrait aussi, de temps en temps, sans tomber dans l'imagerie d’Épinal, élargir le sujet, illustrer les bienfaits – il y en a tout de même eu quelques-uns – des lois de ventôse, la proclamation de l'enseignement gratuit et obligatoire, de l'impôt sur les riches, du secours aux pauvres, etc. Insister sur le poids de l'ennemi tapi à l'intérieur, massé à l'extérieur. Et si l'on tient à corriger Michelet, à déboulonner les mythes, à poser sur cette période trouble un regard plus sévère, plus lucide, plus moderne, pourquoi se lancer à tout coup dans l’étude de caractères (Danton? Un sensuel. Saint-Just? Une énigme. Robespierre? Un maniaque.) Pourquoi ne pas laisser les ténors des comités de Salut public a leurs discours? Et descendre dans la rue. Et aller aux champs. Et pousser la porte des échoppes, des métairies. Et nous raconter l'histoire sans majuscule, l'histoire des Français, notre histoire enfin. Moins de brioche et plus de pain noir.

CLAUDE SARRAUTE

Télérama, du 11 au 17 octobre 1975
Au bonheur du jour

Comment éviter de parler de ce Saint-Just ou la Force des choses, (dramatique en 2 épisodes de Jean-François Rolland, réalisée par Pierre Cardinal, les samedis 27 septembre et 4 octobre, Antenne 2, à 20 h 30)? C’est l’événement de la quinzaine par l’ampleur des moyens mis en jeu, la conviction des acteurs, l’importance du sujet et la recherche de la mise en scène. De plus, ce thème entre dans ceux de mon domaine historique et j’en ai traité ici même. Alors?

Alors, je ne puis que faire, après le premier épisode (La Victoire), une série de réserves qui risquent de ne pas être levées par le second, puisqu’il s’agit, non seulement de la forme, mais du fond de l’œuvre. Et je répugne à critiquer une noble tentative dans une rubrique en principe consacrée à cueillir les réussites au petit bonheur. Mais l’exception confirmera la règle: il ne faut pas simplifier et déformer l’histoire de la Révolution comme elle le fut ici.

UN ARCHANGE AUX YEUX D’HALLUCINÉ

Je me méfiais déjà du support dont se servaient les réalisateurs: le beau livre d’Albert Ollivier, grand par le souffle et le style, contient nombre d’erreurs matérielles sur la vie de Saint-Just, notamment en niant sa fugue et sa détention de jeunesse, prouvée abondamment par les travaux d’érudits, notamment ceux de Marie-Anne Charmelot; or, cette épreuve l’a profondément marqué et explique une bonne partie de sa révolte fondamentale. Peut-être, est-ce pour cela que l’émission glisse si vite sur une jeunesse mutilée et nous montre Saint-Just propulsé à Paris comme un météore.

À partir de là, les auteurs ont fait de l’image d’Épinal en vase clos. Je plains ceux qui n’ont pas quelques notions élémentaires de l’histoire de la Révolution, soudain jetés sur les traces d’un archange au visage de cire et aux yeux d’halluciné (Saint-Just alias Patrice Alexsandre) dans la salle de la Convention où tout le monde hurle et se démène comme dans un mini-cirque romain. C’étaient donc là les hommes qui ont changé la face du monde? Ces chiffonniers en perpétuelle ébullition? Voilà bien l’éternelle image de la plus grande assemblée qui ait agi pour l’homme, telle qu’elle traîne depuis plus de cent ans dans les manuels bourgeois. Et Danton-le-taureau. Et Marat-le-dégoûtant. Hébert-l’ordurier. Robespierre-Machiavel. Couthon-le-tordu, les Girondins tirés à quatre épingles. Pas un cliché ne manque à la revue. La France était tombée aux mains d’une troupe de foire?

On aperçoit parfois, c’est vrai, quelques échantillons du peuple de Paris, des mémères gonflées et des bonshommes avinés. On ne saisit d’ailleurs ni élan populaire, ni l’invasion étrangère, ni le formidable souffle de la nouveauté qui faisait craquer la vieille bâtisse de la hiérarchie et des principes. Tout se passe comme dans un psychodrame bien connu du marquis de Sade sur Marat. Des dingues s’agitent en hurlant sans qu’on comprenne pourquoi. En repoussoir, Saint-Just apparaît comme un étrange égaré dans cette Révolution dont tout semble le distinguer: son quant à soi, son silence intérieur.

Voilà la véritable erreur de l’interprétation: le séparer d’eux, l’isoler, en faire une sorte de Robinson de l’An II. Or, Saint-Just était le compagnon de ces hommes qui ont forgé les clefs des temps modernes. Il a œuvré avec eux, il s’est battu comme eux pour ce qu’il estimait juste et bon; son génie l’a rendu plus prophétique et plus explicite que la plupart, mais il ne se séparait pas du mouvement général: il l’exprimait seulement au mieux. Et il a succombé à son tour, comme eux, victime de leur erreur collective la plus grave: le renoncement à la fraternité.

CLAUDE MANCERON

Mise en ligne: 22 janvier 2008

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