Site Internet de Louis-Antoine Saint-Just _ Notices biographiques



ROGER CARATINI
Dictionnaire des personnages de la Révolution
P., éd. Le Pré aux Clercs, 1988

SAINT-JUST (LOUIS-ANTOINE de). Conventionnel; né à Decize (Nièvre) le 25 août 1767, mort guillotiné à Paris le 10 thermidor an II (28 juillet 1794).

Fils d'un ancien officier de cavalerie qui quitta le Nivernais pour s'établir à Blérancourt, Saint-Just fit ses études au collège de Soissons, chez les Oratoriens. Au sortir du collège, il alla étudier le droit à Reims, puis se livra à la littérature. Il écrivit ainsi, vers la fin de 1789, un poème, Organt, avec cette épigraphe: «J'ai vingt ans, j'ai mal fait, je pourrais faire mieux». C'est un poème satirique en vingt chants, dans lesquels les vieilles idées politiques et philosophiques sont impitoyablement raillées, et les allusions aux mœurs de l'époque nombreuses. La publication de ce livre le conduisit à Paris, Saint-Just assista aux séances de l’Assemblée nationale constituante et des Jacobins, et, de retour dans son pays, il devint lieutenant-colonel de la Garde nationale (élu par ses compatriotes).

C'est ainsi qu'il assista avec la députation des gardes nationaux de son pays à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Vers la fin de la session de la Constituante, il publia un essai intitulé Esprit de la Révolution et de la Constitution de France dont l'édition fut épuisée en peu de jours. A ce moment, on élisait les députés de l’Assemblée législative et Saint-Just se serait volontiers porté candidat, mais il n'avait pas vingt-cinq ans, ce qui lui interdisait de se présenter. L'année suivante, il fut élu député de l'Aisne à la Convention, et il se rendit à Paris le 18 septembre (c'est-à-dire après les massacres de septembre, dans lesquels il ne joua évidemment aucun rôle). Il se lia d’amitié avec Robespierre, qu'il avait connu sous la Constituante, et il prit pour la première fois la parole à l’Assemblée le 13 novembre, à l'occasion du procès du roi. A la question posée par Pétion: «Le roi peut-il être jugé?», Saint-Just répondit par un discours sobre et hautain: «Je dis que le roi doit être jugé en ennemi; que nous avons moins à le juger qu’à le combattre, et que n'étant pour rien dans le contrat qui unit les Français, les formes de la procédure ne sont point dans la loi civile, mais dans la loi du droit des gens [...] Juger un roi comme un citoyen! Ce mot étonnera la postérité froide [...] On ne peut régner innocemment; tout roi est un rebelle et un usurpateur [...] Hâtez-vous de juger le roi, car il n'est pas de citoyen qui n'ait sur lui le droit qu'avait Brutus sur César». La dernière phrase de son discours déclencha des applaudissements nourris: «Peuple, si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance!» Inconnu la veille, Saint-Just était devenu célèbre et populaire. Le 16 décembre, il demanda l'exil de tous les Bourbons, et, dans les appels nominaux, il vota contre l'appel au peuple, pour la mort et contre le sursis.

Le 24 avril 1793, Saint-Just reparut à la tribune pour combattre le projet de constitution déposé par Condorcet. Il présenta aussi un projet appelé Constitution des Montagnards, dont il fut certainement le principal inspirateur mais non pas le seul (le projet est signé de cinq membres du Comité). Tous les articles de cette Constitution étaient dirigés contre les passions ambitieuses, individualistes, qui pouvaient dégénérer en dictature et contre les projets de fédération qui risquaient de dissoudre l'état. La République, une et indivisible, devait être représentée par une Assemblée législative nommée pour deux ans, au suffrage universel, et par un conseil élu pour trois ans par des électeurs du second degré. Les ministres ne devaient exercer aucune autorité personnelle; tout conflit entre le Conseil et l’Assemblée prenait fin par le recours à la sanction du peuple. Cependant, les Girondins engageaient alors la lutte contre les Montagnards. Saint-Just n'y participa point, et l'on sait qu’après l'insurrection du 31 mai, qui détermina la chute de la Gironde, l’Assemblée vota, le 2 juin, la mise en état d'arrestation d'un certain nombre de députés girondins, Saint-Just venait d'être nommé membre du Comité de salut public (le 30 mai), et il proposa de se rendre à Caen, qui était devenu le foyer de l'insurrection fédéraliste anticonventionnelle, pour tenter un compromis, Mais nul ne voulait entendre parler de compromis et Saint-Just fut chargé, le 16 juin, de préparer avec Cambon un rapport sur les députés girondins décrétés d'arrestation. Il le présenta à la tribune dans la séance du 8 juillet, et les historiens se demandent encore comment cette intelligence froide et humaniste à la fois a pu s'égarer au point d'accumuler tant de contradictions en si peu de texte. Il reprend, dans son rapport, toutes les calomnies répandues contre les Girondins, reprochant par exemple à Brissot d'avoir, avant le 10 août, défendu la Constitution de 1791, que Robespierre lui-même soutenait à cette époque; reprochant aux Girondins des liaisons avec la famille d'Orléans, alors qu'il combattait Philippe Égalité, et les accusant d'avoir tenté d'étrangler la République et de mettre sur le trône le fils de Louis XVI. Il est impossible qu'il ait sincèrement cru tout ce qu'il disait, ou même qu'il ait pu penser un instant que les députés qui l'écoutaient pourraient le croire. Et pourtant, il a lu ce rapport de circonstance, qui fut accueilli par des applaudissements unanimes (il n'y avait plus de Girondins à l'Assemblée). Dès ce moment, entre Robespierre, Saint-Just, Couthon et Le Bas (dont la sœur Henriette devait, quelques mois plus tard, vivre une aventure amoureuse avec Saint-Just) il se forme une union politique réaliste, décidée à détruire impitoyablement tous les obstacles qui s'opposaient à leur idée. Qui était le chef de ce groupe? La plupart des historiens s'accordent à dire que Saint-Just n'était que l'instrument de Robespierre. Ce n'est peut-être pas tout à fait exact, car, si Robespierre avait, effectivement, une volonté inébranlable, Saint-Just avait davantage de capacités, et les deux tempéraments étaient complémentaires. La République, en tant que telle, était en danger: elle était menacée par les royalistes, qui lui menaient la vie dure en Vendée et en Bretagne, et par les Républicains fédéralistes, qui voulaient détruire son unité. Enfin, l'ennemi extérieur avait envahi la France, et, face à ce triple danger, il était devenu impossible à aucun gouvernement de légiférer selon le droit des gens. D'où le rapport du 10 octobre 1793, présenté par Saint-Just sur l'organisation du gouvernement révolutionnaire. Le discours est on ne peut plus clair: «Le gouvernement de la France est révolutionnaire jusqu'à la paix», dit-il. Cela signifie que l'on entre dans une période d'exception, celle qu'on a nommée précisément la Terreur.

Au mois d'octobre 1793, Saint-Just fut envoyé en Alsace, pour rétablir l'ordre, réprimer les menées contre-révolutionnaires et organiser la résistance à l'ennemi, qui avait pris les lignes de Wissembourg. Il y partit avec Le Bas, et les deux représentants établirent deux conseils et une commission spéciale chargée de punir les crimes, les désordres, les désertions, sans être astreinte à une forme de procédure particulière, c'est-à-dire ce qu'on pourrait appeler une loi martiale. Un colonel qui a tenu des propos offensants contre la République est fusillé sur-le-champ, le général Eisenberg, qui s'est enfui après avoir été surpris par les Autrichiens, est exécuté. Les soldats manquent de chaussures, Saint-Just et Le Bas écrivent aux officiers municipaux: «Dix mille hommes sont nus pieds dans l’armée, il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates de Strasbourg et que demain, à dix heures du matin, dix mille paires de souliers soient en marche pour le quartier général». À un parlementaire prussien qui venait demander une suspension d'armes, il fut répondu: «La République ne reçoit de ses ennemis et ne leur envoie que du plomb». En même temps, Saint-Just et Le Bas frappèrent aussi, avec autant de rigueur, les excès de certains révolutionnaires: Schneider, accusateur près du Tribunal révolutionnaire de Strasbourg, qui avait fait de la loi un instrument de terreur et d'assassinat plutôt que de justice fut arrêté, exposé sur l'échafaud de la guillotine de dix heures du matin à deux heures de l’après-midi avec un écriteau sur la poitrine portant ces mots: «Pour avoir déshonoré la Révolution», et fut ensuite conduit à Paris devant le Tribunal révolutionnaire qui le condamna à mort le Il germinal an II (31 mars 1794). Cette énergie porta ses fruits: les armées de la Moselle et du Rhin furent réunies, sous le commandement unique de Hoche, le 26 décembre 1793; le 27, les Français entraient dans Wissembourg, le 28 dans Landau, et quelques jours plus tard, toutes les places de Spire à Worms tombaient. L'ennemi, chassé du territoire français, en était maintenant réduit à défendre son propre territoire.

En janvier 1794, Saint-Just revint à Paris, et y passa un mois à peine, occupé par les problèmes qui se posaient au Comité de salut public et au Club des Jacobins (le 8 janvier, Robespierre attaque Fabre d’Églantine, le 1l janvier, Grégoire dénonce le vandalisme révolutionnaire, le 12 janvier, Amar dénonce les malversations financières de Fabre d’Églantine, le 17 janvier, le général Turreau crée les «colonnes infernales» pour abattre la Vendée, et le 19 janvier, les Anglais, répondant à l'appel de Pascal Paoli, arrivent en Corse). Le 26 janvier, Saint-Just repartit avec Le Bas en mission pour l’armée du Nord cette fois-ci. Une armée qui avait connu bien des chefs depuis la trahison de Dumouriez: Dampierre, Custine, Dietrnann, Houchard, Jourdan, et enfin, après la destitution de celui-ci, le 6 janvier, Pichegru. Saint-Just et Le Bas établirent les mêmes mesures de sécurité qui avaient si bien réussi dans le Bas-Rhin, confirmèrent le commandement de Pichegru, et retournèrent à Paris, le 1er février. Après avoir rétabli la situation aux frontières, Saint-Just devint le fer de lance du Comité de salut public contre les factions, celles des Hébertistes puis celles des Dantonistes. Le 13 mars (23 ventôse an II), Saint-Just fit à la Convention le fameux rapport sur les conjurations contre le peuple français et la liberté, dénonçant les ultras, à savoir les Hébertistes, qui prêchaient la déchristianisation et les indulgents, les Dantonistes qui, effrayés de l'ampleur de la Terreur, se prononçaient pour la modération. Sans nommer ses adversaires, il les désigna clairement, et le projet de décret, présenté et adopté par la Convention, déclarait traîtres à la patrie tous ceux qui seraient convaincus d'avoir favorisé un plan de corruption des citoyens, de subversion de l'esprit public, d'avoir donné asile aux émigrés et aux conspirateurs, etc. Le même jour, Hébert et ses amis furent arrêtés puis traduits devant le Tribunal révolutionnaire, condamnés à mort et exécutés le 24 mars (4 germinal). Puis vint le tour de Danton et des Dantonistes. Saint-Just fut chargé‚ par le Comité de salut public, le Comité de sûreté générale et le Comité de législation de faire condamner par la Convention le patriote Danton. Saint-Just se chargea encore de rédiger le rapport, sur des notes de Robespierre (lui-même ne pouvait connaître, en effet, le passé de Danton). Il l'accusa d'avoir servi la tyrannie, d'avoir été le protégé de Mirabeau, d'avoir été le complice de Dumouriez, d'avoir été en relation avec des ennemis étrangers; d'avoir une fortune sur l'origine de laquelle il ne pouvait fournir aucune explication, d'avoir défendu la Gironde, etc., et de conclure: «Les jours du crime sont passés; malheur à ceux qui soutiendraient sa cause! Que tout ce qui fut criminel périsse! On ne fait point de République avec des ménagements, mais avec la rigueur farouche, la rigueur inflexible envers tous ceux qui ont trahi». Huit jours plus tard, le 16 germinal (5 avril 1794), Danton et les dantonistes étaient exécutés.

Le 26 germinal (15 avril 1794), Saint-Just va plus loin encore. Il présenta le rapport sur la police générale, et sur l'influence morale et politique du gouvernement révolutionnaire: «Il faut s'attacher à former la conscience publique; voilà la meilleure police, dit-il, la liberté‚ n'est pas une chicane de palais: elle est la rigidité envers le mal; elle est la justice et l’amitié [...]. Formez les institutions civiles, les institutions auxquelles on n'a point pensé encore; il n y a point de liberté durable sans elles; elles soutiennent l'amour de la patrie et l'esprit révolutionnaire, même quand la révolution est passée».

A la fin du mois d'avril, toujours avec Le Bas, il repartait à l’armée du Nord, et, à nouveau, il donnait le meilleur de lui-même. Lui et Le Bas redoublèrent de sévérité contre les traîtres, contre les prévaricateurs, contre l’immoralité‚ qui se développait dans les rangs des soldats (Saint-Just fit renvoyer immédiatement, sous peine de mort, les prostituées qui accompagnaient les armées), et décrétèrent des peines rigoureuses contre les hommes atteints de maladies vénériennes; Saint-Just convainquit les généraux de passer la Sambre, pour se rendre maîtres des deux rives de ce fleuve, et put ainsi prendre Charleroi (le 25 juin), puis faire gagner aux armées françaises la bataille de Fleurus, qui ouvrit la route de la Belgique.

Son action militaire était terminée. Il retourna à Paris, et retrouva les Comités de salut public et de sûreté générale, en proie aux plus grands doutes. Déjà la conspiration de Thermidor se préparait; Robespierre n'assistait plus, depuis quinze jours, aux réunions du Comité de salut public; Couthon, malade, y venait rarement, et Saint-Just de dire: «Je ne reconnus plus que quelques visages [...] Tout était changé: te gouvernement n'était point divisé; mais il était épars, et abandonné à un petit nombre qui jouissant d'un pouvoir absolu, accusa les autres d’y prétendre pour le conserver». Que s'était-il donc passé entre son départ à l'armée du Nord, à la fin du mois d'avril, et son retour à Paris, à la fin du mois de juin? Robespierre avait continué d'épurer la République; il avait exigé que la Convention votât une loi supprimant toute garantie judiciaire pour les accusés, au nom de l'état d'urgence; il avait institué la grande Terreur, fondée sur les terribles décrets de prairial. Au Comité de salut public, Billaud-Varenne, Carnot et Collot d'Herbois l'avaient traité de dictateur; Robespierre avait exclu du Club des Jacobins Dubois-Crancé, lui reprochant sa trop grande clémence durant le siège de Lyon, puis Fouché, et tous ses adversaires préparaient sa perte. Des réunions extraordinaires des comités eurent lieu, le 4 et le 5 thermidor an Il (22 et 23 juillet). Saint-Just y prit la parole, suppliant ses collègues de s'expliquer avec franchise et de se réconcilier. Et il y eut, effectivement, une réconciliation factice, le 5 thermidor. Le 8 thermidor, Robespierre sortit de son silence et prononça à la Convention un violent discours, pour réclamer la punition des traîtres et l'épuration des Comités de salut public et de sûreté générale. Le 9 thermidor, tout était consommé. La Convention votait l'arrestation de Robespierre, de Saint-Just, de Couthon et de Le Bas. Libérés par leurs partisans, ils furent, comme on le sait, conduits à l'Hôtel de Ville, mais les forces de la Convention investirent le bâtiment, les proscrits furent transportés au Comité de sûreté‚ générale puis à la Conciergerie. Saint-Just suivit à pied, les mains liées, les corps mutilés de ses amis qui avaient tenté de se tuer, et il monta sur l'échafaud le 10 thermidor an Il (28 juillet 1794).

Mise en ligne: 25 août 2009

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- 25 AOUT 2006 -
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